Boris Cyrulnik est neuropsychiatre. Il est l’auteur de nombreux ouvrages comme Sauve-toi, la vie t’appelle, La nuit, j’écrirai des soleils, Des âmes et des saisons, Le Laboureur et les Mangeurs de vent, Quarante voleurs en carence affective, qui sont des best-sellers mondiaux. Pour le Lycée Armand David, il nous livre son regard sur l’amour, l’attachement…Un message qui s’adresse à toutes et tous !
Votre nouvel ouvrage « Quand on tombe amoureux, on se relève attaché »* est-il une suite naturelle de « Quarante voleurs en carence affective »** dans votre recherche sur les racines de la violence ?
C’est effectivement une suite naturelle, une continuité. Dans « Quarante voleurs en carence affective », il s’agissait de l’importance de l’affectivité dans la socialisation. Dans ce dernier ouvrage, il s’agit de l’importance et la différence de l’amour et de l’attachement dans la manière de vivre en couple et en famille.
Pensez-vous que dans la société mais aussi dans les médias, il est trop peu question d’amour alors que sont davantage évoquées les questions de genre, les relations garçons-filles ?
Il est question de sexe, de genre, mais on ne parle pas d’amour et encore moins d’attachement. Car le développement personnel est privilégié, ce qui constitue un réel progrès de notre culture et au contraire les liens sociaux sont dilués. En effet, le progrès de notre culture a été de cesser de sacrifier les femmes au foyer et les hommes à la guerre et au travail. On a fabriqué de la société ainsi durant plus de 300.000 ans et l’immense progrès aujourd’hui est de permettre à des personnes de se développer surtout à travers une véritable liberté sociale. C’est une révolution anthropologique mais le développement personnel est tellement accéléré aujourd’hui que l’on oublie que faire un foyer, construire une famille, tisser des liens sont aussi fondamentaux pour être bien et faciliter un bon développement des enfants. Et nous nous trouvons à carrefour où on voit de nombreuses jeunes filles ne plus vouloir mettre naissance à un enfant et l’espérance de vie des couples de plus en plus réduite, en moyenne de 6 ans. Ainsi, on trouve des personnes qui auront 5 à 6 métiers dans leur vie sociale et tout autant de vie de couples. Et on ne peut plus fabriquer du lien et de la famille.
Est-ce que tout ce jour, en matière d’attachement, dans les 1000 premiers jours qui est un concept qui vous est cher ?
Rien ne se joue totalement dans les 1000 premiers jours ! La théorie de l’attachement est telle, que tant que l’on n’est pas mort, on peut « jouer » ! Le lien de l’attachement si tisse sans discontinuer et c’est un lien sur lequel on peut influer, on a un certain degré de liberté. Au contraire, l’amour nous frappe par surprise, alors que l’on peut décider de travailler le lien de l’attachement, avec des liens heureux, mais aussi, comme dans toutes les vies, avec des moments difficiles. Rien ne se joue définitivement, ce qui est la définition de la résilience.
Est-ce que l’explosion de la violence que nous connaissons est liée à la fragilisation des liens affectifs ?
Parfois les liens affectifs ne sont pas construits du tout, parfois mal construits ou encore des moments de difficultés à surmonter. Décider de construire des liens et un foyer est un facteur de bien-être, de sécurité et pour les enfants et pour les adultes.
Comment évoquer ces questions essentielles avec les jeunes générations ?
Il faut leur dire que l’amour frappe, tel Cupidon, mais que les liens se tissent. C’est une organisation quotidienne et les bienfaits du lien, de l’attachement, c’est donner confiance et une forme de liberté et d’épanouissement. Au contraire la seule recherche du développement personnel dilue le lien de l’attachement. Ainsi les personnes se retrouvent et seules et malheureuses. Plus le foyer travaille le lien de l’attachement, plus les enfants sont sécurisés et s’épanouissent bien. Le lien de l’attachement est vital, car l’enfant seul « meurt », son cerveau s’atrophie, un adulte seul ne peut se développer et une personne âgée seule, meurt doucement. Si l’attachement est vital, l’amour est un moment extatique. L’idéal est de passer de l’amour, qui est un coup de foudre à l’attachement qui est un lien qui se tisse pour chaque jour.
Le peu d’enfants et le moins d’enfants est-il le résultat de cette moindre capacité à construire un lien affectif ?
Les enfants qui ont raté ces 1000 premiers jours ou à qui l’on a fait rater ces 1000 premiers jours ont du mal à construire ce lien d’attachement. Mais quand il est tissé, il libère et permet de construire une autre aventure sociale. Un lien mal tissé peut être rattrapé et réparé en quelques jours, quelques nuits, lorsque la niche sensorielle de l’enfant est réorganisée. Plus on avance en âge, plus le cerveau est structuré, il faudra travailler davantage et la résilience est plus difficile et parfois impossible.
Amour, liens affectifs : qu’aimeriez-vous transmettre comme message aux jeunes d’aujourd’hui et de demain ?
Derrière l’individualisme, il y a l’individu devenu narcissique qui isole de la société. Si vous voulez vous épanouir ce qui est un bon objectif pour une vie d’être humain, respectez les autres, découvrez les besoins des autres et épanouissez-vous avec les autres et non, loin des autres ou sans les autres.
*« Quand on tombe amoureux, on se relève attaché », Boris Cyrulnik, Odile Jacob, mars 2025
**« Quarante voleurs en carence affective », Boris Cyrulnik, Odile Jacob, septembre 2023