« On a découvert une face cachée de l’Univers dont on ne se doutait pas »
1. L'astrophysique s'était accordée jusque dans les années 50 sur l'histoire du big-bang. Depuis, de nombreuses découvertes ont vu le jour. Pouvez-vous nous dire quelles sont les principales ?
En fait, on n’a eu la confirmation du big bang qu’en 1965, lorsque deux astronomes qui travaillaient pour la société de télécommunication Bell ont fait une découverte inattendue. Ils venaient de mettre en fonctionnement une antenne radio et ils ont noté qu’elle captait un bruit en provenance de toutes les directions. C’était la chaleur du big bang qui avait rempli l’univers d’un rayonnement omniprésent. Depuis, de nombreuses découvertes ont vu le jour qui montrent que oui, c’est vrai que si on plonge loin dans l’univers, on découvre le passé de l’univers et dans ce lointain passé, il y avait moins d’étoiles, moins de galaxies. Avec le télescope James Webb, on voit maintenant la forme des galaxies comme elles étaient il y a 13 milliards d’années et on voit bien qu’elles n’avaient pas encore formé beaucoup d’étoiles, que leur forme n’était pas encore en place, qu’elles étaient toutes petites. C’est la preuve la plus directe que l’univers a bien une histoire et qu’il y a eu un commencement.
Au cours de ce début de XXIè siècle on a assisté à plus de découvertes sur l’univers que tout ce que l’on a connu dans le passé. On a réalisé l’image de l’ombre d’un trou noir, découvert plus de 5000 planètes qui tournent autour d’autres étoiles que le Soleil, découvert des galaxies naissantes, découvert des planètes comme la Terre en train de naitre autour d’une étoile naissante et tant d’autres choses encore. C’est le siècle de l’astrophysique et comble de l’excitation de voir qu’il existe un monde caché, des composantes sombres dont la nature reste mystérieuse. Cela signifie que l’espace des connaissances à venir est encore plus vaste. C’est une promesse magnifique pour les jeunes générations qui participeront à cette chasse au trésor cosmique avec en prime une nouvelle vision de l’histoire de nos origines, de notre place dans ce vaste univers.
2. Peut-on dire que plus les connaissances progressent, plus les interrogations sont nombreuses ? Est-ce cela alors, le sens de l'histoire de l’Univers ?
Oui, tout à fait, plus on avance et plus les interrogations sont nombreuses et c’est tout à fait logique. Imaginez que vous observiez la Terre depuis l’espace, vous voyez un petit point bleu, a pale blue dot disait Carl Sagan. C’est l’image prise par la sonde Voyager 1. Ce que vous pouvez dire de la Terre c’est qu’elle est petite et bleue. Vous vous rapprochez et vous découvrez des océans et des terres émergées. Vous distinguez des couleurs différentes en différents endroits de ces terres, vos interrogations s’amplifient. Pourquoi des couleurs différentes ? Puis vous découvrez la végétation, les désert, les océans, les villes, les mégalopoles, les autoroutes. Mais qu’est-ce qui a bien pu créer tout cela ? Vous zoomez davantage et vous découvrez les animaux, aux formes riches et variées, puis les êtres humains. Comment comprendre leur sociologie ? Et ainsi de suite…
Aujourd’hui les astrophysiciens en sont à étudier la sociologie des planètes, des étoiles et des galaxies. Ils s’aperçoivent de l’existence d’autoroutes qui relient les galaxies et même les étoiles, qui sont quasi-invisibles. Ils comprennent que des causes invisibles sont à l’œuvre dans leur évolution. Plus on avance et plus les interrogations sont nombreuses… C’est le résultat naturel de la connaissance. Et cela s’applique à chacun de nous, plus on connait un individu et plus on découvre ses multiples facettes et ses mystères, ce qui le rend de plus en plus intéressant. J’ai envie de dire que cette richesse infinie des mystères du monde est la mère de l’affection que l’on porte envers l’univers et les êtres humains.
Est-ce le sens de l’histoire de l’univers ? Je vous répondrais que c’est une question ouverte, une interrogation aux nombreuses ramifications… En fait, nous vivons une histoire analogue aux mille et une nuits où chaque nuit apporte une nouvelle question, c’est pour ça que j’ai appelé mon dernier livre « les dix mille et une nuits de l’univers ». Une véritable révolution scientifique est en marche et le livre nous dévoile les découvertes les plus étonnantes sur l’univers, une véritable danse du cosmos.
3. Parmi les découvertes les plus fascinantes, il y a les trous noirs. Carlo Rovelli évoque de son côté les trous blancs Pouvez-vous nous expliquer de quoi il s’agit et qu’est-ce que cela nous apprend sur l’Univers ?
Personne ne sait ce qui se passe à l’intérieur d’un trou noir, c’est ce qui les rend troublants. Mais cela n’empêche de nombreux et brillants scientifiques de développer des théories mathématiques offrant de possibles réponses. Ce qui est difficile à comprendre de l’extérieur du monde des chercheurs, c’est qu’il puisse exister plusieurs réponses mathématiquement cohérentes à une même question. L’enjeu pour l’astrophysicien est alors de trouver un moyen de distinguer ces différentes réponses pour ne plus en garder qu’une seule. À ce jour, on continue de chercher un moyen de réaliser cette distinction, alors en attendant, on s’émerveille du champ des possibles. Des livres entiers sont écrits sur ces théories possibles et leurs implications. Ce que nous apprennent en tout cas les trous noirs c’est la patience, car le chemin est long et escarpé sur la voie de la découverte de leur nature profonde.
4. Si le télescope “James Webb” a permis de percer de nombreux mystères, peut-on dire qu'il est un outil du passé, dépassé ?
L’aventure du James Webb ne fait que commencer, on continue de s’interroger sur ses nombreuses premières découvertes et il lui reste encore près de 20 ans à nous émerveiller. Il va rester encore longtemps un fleuron moderne de l’exploration des mystères de l’univers.
5. Au-delà des outils, cela signifie-t-il que certaines théories sont devenues obsolètes et même erronées ? Si oui, quels exemples pouvez-vous nous donner ?
On est encore trop noyés par les multiples possibilités d’explications des observations réalisées avec le James Webb en particulier pour pouvoir en tirer des conclusions claires et définitives. Certains ont voulu trop rapidement questionner l’âge de l’univers, par exemple, et par là aussi le big bang, mais après la précipitation des interprétations hâtives, on a découvert que les masses des galaxies avaient été surestimées et leurs distances aussi. En fait, cela reviendrait à creuser dans la Terre, trouver une ruine et écrire un article en proposant que ce soit la plus ancienne ruine jamais découverte avant sa datation au carbone 14. Il faut du temps au temps…
6. Quels sont les nouveaux outils en création et quels sont les objectifs que se fixe l'astrophysique ? A quelle échéance ?
Un télescope de 39m en construction par l’ESO, l’Extremely Large Telescope, un satellite de l’ESA, Ariel, un futur télescope de la NASA, Habitable World Observatory, auront pour objectif la quête de l’existence de planètes habitables, voire de la vie ailleurs dans l’univers.
Un ensemble d’antennes radio, SKA, dévoilera un pan de l’univers invisible et de l’origine des étoiles, des galaxies et des phénomènes les plus violents dans l’univers.
7. Parmi les enjeux de percer les mystères les plus cruciaux, il y a la découverte de nouvelles formes de vie, ailleurs dans l'univers. Pensez-vous que des formes de vie puissent exister ?
Oui, c’est peut-être la plus grande question. Nous n’avons aucune preuve de l’existence de vie ailleurs, mais j’en ai la conviction intime. Cette conviction repose d’une part sur le fait que la vie est apparue sur Terre il y a environ 3,8 milliards d’années. Or avant cette date, la Terre était soumise à d’intenses bombardements de météorites. La vie est donc apparue très vite après que les conditions le permettaient. D’autre part, on constate que l’histoire de l’univers n’a cessé de construire des formes de plus en plus complexes. J’ai dédié un livre entier à l’explication de la raison pour laquelle je pense que la vie existe ailleurs dans l’univers, « la plus belle ruse de la lumière », car je pense que l’organisation de la matière en formes complexes est due principalement au rôle de la lumière.
8. Quelles seraient les implications de telles découvertes sur notre vie ?
Savoir que nous ne sommes pas seuls, que nous participons à une grande histoire, c’est peut-être ce dont on a le plus besoin comme alternative à l’idée que la vie soit juste un bug dans l’histoire. Savoir que nous sommes les enfants d’une histoire de 14 milliards d’années, n’est-ce pas l’occasion de se sentir concernés par l’autre, comme faisant partie d’une même famille au-delà des frontières ? Alors, oui, je sais, je rêve, et alors ?
9. Hubert Reeves écrivait de manière à la fois poétique et scientifique que nous sommes des poussières d’étoiles. Vous écrivez que nous sommes les enfants de la danse des galaxies. Est-ce aussi votre manière de poser un regard sur l’Univers et de partir à la recherche de l’histoire de nos origines ?
Nous sommes faits des poussières d’étoiles, oui, et Hubert Reeves était un fantastique conteur qui m’a énormément touché et avec qui j’ai eu la chance et l’honneur de discuter de nos visions de l’univers. Nous partagions la même vision, le même espoir que parler de l’univers, raconter notre histoire cosmique apporte un brin de mieux être à nos contemporains.
Et oui, nous sommes aussi les enfants de la danse des galaxies, car le Soleil et la Terre sont nés dans l’écume des vagues nées dans la robe dansante d’une galaxie. Nous sommes aussi les enfants de la lumière car la lumière est la sculptrice des formes complexes dans l’univers. Nous sommes enfin des étoiles, car nous-mêmes sommes des sources de lumière invisible et infrarouge, c’est d’ailleurs ce qui fait que la vie est un produit naturel de l’évolution qui tend vers la création de sources de rayonnement. C’est ce que nous appelons en physique, la seconde loi de la thermodynamique.
10. Si vous aviez un message à transmettre aux jeunes, quel serait-il ?
Un jeune, selon moi ne se mesure pas uniquement à l’aune de son âge biologique. On peut rester jeune toute sa vie. « Un jeune » est une personne dotée de la capacité de découvrir le monde, de s’émerveiller devant ce qui pourrait paraître insignifiant à « un vieux » et qui pense que tout est possible, même l’impossible. Hubert Reeves, par exemple, était un jeune jusqu’à la fin de sa vie. J’ai rencontré des jeunes, au sens biologique, qui étaient très très vieux, et des très très vieux, qui étaient très très jeunes. Alors, oublions les rides, oublions le temps, et gardons la capacité de raconter des histoires, de rêver, de s’émerveiller, de viser l’infini, l’inaccessible, l’impossible et imitons le cosmos qui danse pour ne pas vieillir.